mardi 9 janvier 2007

Des cadeaux

Lors d’une réunion de famille du Temps de Fêtes, j’ai voulu donner à mes jeunes neveux une leçon d’histoire et de choses.

Mais précisons d’abord le contexte.

Ces neveux, pré-pubères, sont les enfants du cadet de ma génération, lui-même marié à l’âge mûr. Il y a donc plus de 55 ans de différence d’âge entre mes neveux et moi. Ces enfants sont énormément gâtés par leurs grands-parents maternels (cadeaux fréquents et de prix).

J’ai donc conçu un petit scénario pour le moment de la remise de leur cadeau.

Cet instant arrivé, moment qu’ils attendaient fébrilement, pour ne pas dire avec un peu d’impatience, je leur fis fermer les yeux et tendre la main. J’y déposai une mandarine.

Les yeux subitement grand ouverts, la stupéfaction et la déception se sont largement inscrites sur leur visage, au point qu’ils ne voyaient pas que mon sac de cadeaux était encore ouvert tout près.

Je leur demandai alors, connaissant la réponse, s’ils se rappelaient encore de leur Mamie décédée il y a quelques années dans leur plus jeune âge.

Suite à leur réponse positive, je leur expliquai qu’autrefois, lorsque leur grand-maman était petite comme eux au début du siècle dernier, la pratique des cadeaux était bien différente de celle d’aujourd’hui.

C’était dû, tout d’abord, au fait que l’argent était rare pour l’ensemble des gens et aussi que l’esprit des Fêtes n’était pas le même.

Pour beaucoup d’enfants, le cadeau était une orange, un fruit rare à l’époque et d’autant apprécié et surtout disponible à ce temps de l’année. Parfois pouvait s’ajouter une canne en bonbon, éventuellement une poupée de chiffons pour les petites filles, une ardoise lorsque les enfants commençaient à aller à l’école ou un autre objet pratique tel qu’un canif pour les garçons plus vieux, une tuque, un foulard, des mitaines, tricotés par la mère, la grand-mère, la marraine ou une sœur aînée.

Si le père était habile de ses mains, un traîneau, une voiturette, une cheval de bois à bascule ou sur roulettes ou autre pouvait soudain apparaître derrière la porte d’un garde-robe ou derrière le divan, — l’atelier du père ayant été interdit d’accès depuis quelques semaines.

Le sapin de Noël naturel, que plus souvent qu’autrement on allait chercher dans le bois de la ferme — ou d’un voisin qui le permettait —, déjà une tradition depuis longtemps, n’avait pas l’allure qu’on s’efforce de lui donner aujourd’hui.

Point n’existait, chez les gens ordinaires, les boules de verre colorées (encore moins celles de plastique), les glaçons argentés, les lumières (pas d’électricité alors dans grand nombre de demeures).

Les décorations étaient de fabrication maison : figurines de carton coloré, de papier mâché ou de bois « gossé » au couteau, rubans ou cordons de couleurs.

La crèche, indispensable, souvent créée par le père ou transmise de génération en génération avec ajout à chacune, était l’attrait principal ou unique sous le sapin.

Quelques jours avant Noël, on accrochait à la rampe de l’escalier menant à l’étage, ou parfois au sapin même, un bas marqué au nom de chacun ou identifié par sa couleur. C’est dans ce bas que les enfants — les adultes aussi — trouvaient leurs cadeaux. J’écris leurs cadeaux parce que, les enfants devenant plus vieux pouvaient être incités à faire des cadeaux aux plus jeunes ou à leurs parents.

L’apparition de nombreux produits manufacturés, surtout après la Première Guerre Mondiale (14-18), puis une diffusion à grande échelle de catalogues de magasins comme Eaton’s, Simpson’s, Dupuis Frères, a rendu plus accessible une multitude d’objets de toutes sortes, transformant peu à peu la pratique des cadeaux.

Il ne faut surtout pas s’illusionner. Les restrictions du temps de guerre (14-18), la Grande Crise de 1929-1939 qui a vite crevé le ballon de la croissance économique de l’après-guerre, suivie du rationnement requis par l’effort de guerre de la Deuxième Grande Guerre (39-45) n’ont pas permis une évolution rapide du nombre et de la qualité des cadeaux, les besoins primaires étant les premiers satisfaits.

C’est le boom économique suivant qui a tout changé.

Du temps de nos grands-parents —je parle évidemment de ma génération qui a connu la fin de la première moitié du dernier siècle — et de leurs parents, la primauté des réjouissances du Temps des Fêtes c’était de réunir autour d’eux leur nombreuse famille et de fêter ensemble par des repas plantureux hors de l’ordinaire, danser, chanter, être heureux dans le cocon familial. Parfois s’y joignaient des voisins ou amis proches, et dans certaines familles on y faisait participer une personne seule ou démunie.

Cette période s’étendait de Noël jusqu’aux Rois (6 janvier) avec au Jour de l’An la visite de maison en maison pour l’échange de vœux.

Note. Je n’ai pas tout raconté ça à mes neveux. Je leur en ai transmis, je crois, l’essentiel pour qu’ils puissent réaliser que ce n’est ni l’ampleur du cadeau, ni son prix, ni même la réponse à leur souhait qui est l’important, mais que c’est la pensée, le geste, l’offre, l’amour qui est exprimé par le don, quelle qu’en soit la valeur monétaire, qu’il faut savoir reconnaître.